dimanche 26 août 2012

Le Tour du Monde des Garages et des Ménestrels (7) : Kenya

Après plus de deux années de pause, le Tour du Monde des Garages et des Ménestrels reprend sa route. Le périple, qui nous a fait partir du Japon, puis traverser la Chine, l'Indonésie, l'Inde, la Turquie, le Yémen et l'Éthiopie aborde aujourd'hui le Kenya. Mille remerciements au Docteur Nikki Mod, éminent africaniste qui a une fois de plus apporté sa contribution à la rédaction de l'article.



Daudi Kabaka

Musicien emblématique de la jeune nation kenyane, Daudi Kabaka naquit pourtant en Ouganda, en 1939, année au cours de laquelle s'éteignait Daudi Cwa II, «Kabaka» de Buganda, c'est-à-dire souverain du royaume. C'est en hommage au défunt roi que notre homme prit pour nom de scène Daudi Kabaka

Suivant son père à Nairobi, il entra en 1959 chez East African Records, label-groupe-studio qui prendra par la suite le nom d'Equator Sound. Réunissant plusieurs des meilleurs musiciens d'Afrique de l'est, cette structure enregistra plusieurs succès avec Daudi Kabaka à la guitare, développant un style chaloupé que l'on ne tarda pas à qualifier de «Twist africain». Chanté par Peter Tsotsi et Nashil Pichen (tous deux d'origine zambienne), le très joli «Pole Musa» donne une idée de ce qui pouvait faire danser Nairobi dans les années 60.

Le «tube» de Daudi Kabaka reste cependant «Harambee Harambee», composé avec Fadhili William. Faisant écho au slogan lancé en 1963 par Jomo Kenyatta, premier ministre de la toute jeune nation kenyane («Harambee» se traduisant grossièrement par «Joignons nos forces»), Kabaka signa un véritable hymne national diffusé inlassablement sur Voice of Kenya, la radio nationale. Pour l'anecdote, le chanteur répète plusieurs fois «Hakuna Matata», dicton popularisé par le dessin animé du Roi Lion. Car oui, sachez-le, il s'agit-là d'une expression swahilie signifiant «Il n'y a pas de problème» ; ce qui permet de déduire l'origine kenyane de Simba, Timon, Pumbaa et de tout le bestiaire du célèbre film d'animation.




Kakai Kilonzo et les Kilimambogo (Brothers)

Originaire de la tribu des Kamba, Kakai Kilonzo naquit en 1954 au pied du mont Kilimambogo (aussi appelé Ol Donyo Sabuk), montagne sacrée sur laquelle les dieux venaient séjourner lorsqu'ils n'étaient pas sur le Mont Kenya. Du moins y vivaient-ils jusqu'à l'arrivée du célèbre Sir Lord William Northrup Macmillan (1872-1925), ancien soldat américain anobli par la reine d'Angleterre. Attiré par la chasse aux grands fauves et proche ami de Theodore Roosevelt (qu'il accueillit deux fois pour lui faire découvrir les joies du safari), Macmillan entreprit l'exploitation des terres sauvages qui s'étendaient autour de la montagne sacrée, ouvrant la voie aux cultures d'ananas qui font aujourd'hui la réputation de la région.

Tour à tour berger puis travailleur agricole dans ces plantations d'ananas, Kakai Kilonzo apprit à jouer sur des guitares monocordes qu'il fabriquait lui-même à partir de boîtes en étain. Sa virtuosité n'ayant pas son pareil pour faire danser les foules, il put enregistrer un premier simple en 1974 («Kaylo kyakwa na Mary»), disque qui rencontra un succès immédiat.

Kakai et ses Kilimambogo Brothers jouirent d'une immense notoriété dans tout le Kenya, dès lors qu'ils adoptèrent le kiswahili (langue nationale) pour leurs chansons (le kamba, leur langue maternelle, étant moins usité). La population aimait en effet à entendre ses paroles empreintes d'humour, qui n'hésitaient pas toutefois à aborder des sujets politiques. Kakai composa ainsi en 1978 un hymne à la gloire du nouveau président Daniel Arap Moi («Fuata Nyayo» / «Suivez mes pas»), puis un hymne patriotique («Kenya inchi yangu») avant de dénoncer la tentative de coup d'état de 1982. L'adoption du kiswahili souligne quoi qu'il en soit la fibre nationaliste de Kakai Kilonzo et sa volonté de se faire la voix du Kenya plutôt que celle des seuls Kamba (certaines de ces chansons étant par ailleurs interprétées dans d'autres langues kenyanes telles que le dholuo ou le gikuyu). Cet élément n'était pas anodin dans un pays qui venait seulement d'acquérir son indépendance (en 1963) et qui devait encore construire son identité nationale.

L'idole de la musique populaire kenyane s'éteignit malheureusement assez jeune, de maladie, en 1987, laissant une kyrielle de chansons enjouées et exécutées avec maestria.
 


Le Victoria Jazz Band

Musicalement parlant, Kakai Kilonzo et ses Kilimambogo Brothers apparaissent comme les figures de proue de la Pop Kamba qui elle même s'apparente au Benga, style kenyan né du croisement entre la danse cubaine, la rumba congolaise et la musique jouée par différente tribus kenyanes (en particulier les Luo). Le Benga se caractérise pas des lignes ultra-rapides de guitare, aigües et entraînantes, posées sur une basse puissante, chargée de faire danser les foules.

L'apparition de ce style musial chez les Luo n'est pas un hasard : tribu située la plus à l'ouest du Kenya, sur les bords du lac Victoria, elle a été directement au contact de la foisonnante musique d'Afrique centrale (notamment congolaise). Mais tout ceci fera l'objet d'un prochain article.

Emmené par Ochieng Nelly Mengo et Collela Mazee, le Victoria Jazz Band fit partie des principaux représentants du Benga dans les années 70. Ses musiciens, comme beaucoup, apprirent à jouer sur des instruments qu'ils avaient eux-mêmes confectionnés, parfois en cachette. Collela Mazee expliquait ainsi qu'il était mal vu de jouer de la musique dans son entourage et qu'après avoir joué avec ses amis sur le chemin de l'école, il lui fallait dissimuler son instrument pour ne pas se faire punir par ses parents. La mauvaise qualité du son sur le morceau «Dominic Kasera» ne rend malheureusement pas justice au talent du groupe.



Les Kalambya Sisters

Autres représentants du Benga, les Kalambya Boys (emmenés par Onesmus Musyoki) jouaient soit seuls, soit en support des Kalambya Sisters. Ces dernières connurent un grand succès avec «Katelina», morceau sorti en 1983 sur un label allemand (Zensor) et qui eut droit à quelques écoutes sur des radios européennes.







Sukuma Bin Ongaro

Terminons notre sélection par un musicien originaire de la tribu des Luyha, à l'ouest du pays : Sukuma Bin Ongaro et son jeu de guitare proprement stupéfiant. Difficile de ne pas remuer les pieds et les épaules, entraîné que l'on est par ces grappes de notes sautillantes.

Sukuma Bin Ongaro - Mukamba leya
(morceau numérisé par l'auteur du blog Likembe)


Cet article ne prétend évidemment pas brosser un portrait fidèle de ce qu'est la musique kenyane dans toute sa diversité et sa richesse. Premièrement, car il évoque essentiellement le Twist africain et le Benga, deux styles qui ne sauraient couvrir le spectre complet de la production nationale. Et même s'il est toujours en vogue, le Benga doit composer aujourd'hui avec la concurrence du R'n'B, très populaire parmi les jeunes générations. Deuxièmement, et il s'agit-là d'un poncif, la musique kenyane ne peut s'appréhender véritablement qu'en concert, et en étant au Kenya. Son but premier étant de faire danser le public dans les clubs ou dans les fêtes, nous ne saurions la comprendre sans en partager l'atmosphère.

Ce caractère récréatif ne doit cependant pas occulter l'importance des messages politiques et sociaux véhiculés ces dernières décennies par ces véritables «ménestrels» modernes. Dans un pays traversé depuis 50 ans par des tensions violentes ou couvées, la musique a pu être, à certaines périodes, l'un des rares supports permettant d'exprimer des messages politiques à l'encontre du pouvoir en place ou des élites.

Ces messages prenaient parfois un caractère imagé, sous forme de récits attachés au quotidien et au vécu des musiciens (conflits familiaux, relations hommes / femmes, dangers de la grande ville, attachement à sa région d'origine et à ses coutumes, etc.). Certains musiciens n'hésitaient toutefois pas à véhiculer des messages plus explicites par le biais de chroniques relatant les élections ou les différents soubresauts politiques du pays (coup d'état, assassinat, etc.).

Un Européen ne peut donc saisir toutes les subtilités de la musique kenyane ; à moins d'avoir vécu au pays, de connaître son histoire et d'en parler les différentes langues. Mais, rassurez-vous, il n'est pas nécessaire d'être africaniste ou africain pour pouvoir l'apprécier.




2 commentaires:

Darby a dit…

Great post! I got interested in juju/zulu jive/benga music a couple of years ago (Daniel Owino Misiani, I.K. Dairo, Noise Khanyile). I've been listening to the tracks you posted, great selection of music!

Infrason a dit…

Thanks ! :)