dimanche 28 septembre 2008

Le Tour du Monde des Garages et des Ménestrels (5) : Yémen



Après le Japon, la Chine, l'Indonésie et l'Inde, le Tour du Monde des Garages (et des Ménestrels) s'était arrêté au portes de l'Europe, en Turquie. Profitant de cette halte pour rassembler les forces et les provisions nécessaires à un périple sur le Vieux Continent, Infrason avait alors confié à son correspondant spécial (Nikki Mod) le soin d'explorer les contrées brûlantes du Moyen-Orient et de l'Afrique.

Sans nouvelles de notre reporter depuis plusieurs moi, nous craignions le pire, d'autant qu'un caravanier affirmait avoir vu la carcasse de son dromadaire perdue dans le désert. C'est donc avec un réel soulagement que nous avons reçu hier un parchemin usé, signé par Nikki Mod depuis Sana'a, la capitale du Yémen. Je vous en livre le contenu :

Mohammad Al-Harithi

Allah a inventé le rock n'roll
La légende voudrait que, quelque part entre le sixième et le neuvième siècle de notre ère, un bédouin mit au point au fin fond du désert d'Arabie un curieux instrument à douze cordes pour déplorer la mort de son fils et chanter au ciel son désarroi.

L'objet prit le nom de ûd, et devint bientôt très répandu dans l'ensemble du monde arabe. Il s'agit de ne pas s'y tromper : instrument d'accompagnement ou de solistes souvent virtuoses, le ûd, par le son produit, est la Telecaster du Moyen Orient. Ce qui est susceptible de sortir de cette chose est potentiellement aussi primitif qu'un solo des Cramps, aussi sauvage qu'un gimmick d'AC/DC, aussi beau et sensuel qu'une balade dylanienne chantée sur un chameau.

Les thèmes clamés sont le plus souvent religieux, mais il faut croire que le Dieu de là bas a quelque chose de spécial, entre un iguane au soleil et un cobra des mille et une nuits. Un jour prochain, quelqu'un dans le désert aura l'idée de brancher son ûd sur un gros ampli Vox à lampes, et ce sera le début de l'apocalypse.

En attendant, il s'agit de prêcher la bonne parole, et de se soumettre à la mélopée du yéménite Mohammad Al Hariti, l'un des joueurs de ûd contemporains les plus connus ; pour ne pas dire un «ûd hero». Dans un album édité sous le titre L'heure de Salomon, le fou ose un «Par Dieu, que ce lieu contient de belles !», qui ne lui a pas même valu une Fatwa....

Mohammad Al-Harithi - Li-Llah Mâ Yahwî Hadha-I-Maqâm'
Mohammad Al-Harithi - Rahmân Ya Rahmân
(acheter L'heure de Salomon à la Fnac)


Faisal Alawi

S'il était né à Perigeux aujourdhui, Faisal Alawi aurait peut être joué du métal. Heureusement issu ses contrées plus ensoleillées du Yémen, ce barde là a adopté le ûd, et se donne en spectacle au milieu d'un public dont on entend les hurlements tous féminins. Ça chauffe dans les burqas. Peut être le live le plus féroce entendu depuis longtemps, dont le titre des morceaux est cependant tombé dans l'oubli.


samedi 13 septembre 2008

Le Tour du Monde des Garages (4) : Turquie


Après le Japon, la Chine, l'Indonésie et l'Inde, le Tour du Monde des Garages poursuit sa marche vers l'ouest pour s'attaquer à la Turquie ou, plus précisément, à sa scène psychédélique du début des années 1970.

Petit aparté tout d'abord pour replacer les choses dans leur contexte : au début des années 1970, le rock anglo-saxon piétinait, suivant en cela et de façon quasi-symétrique l'état de santé des Beatles. Ainsi, lorsque les quatre garçons de Liverpool commençaient à ne plus s'entendre en 1968, c'est l'ensemble de la production musicale qui semblait prendre l'eau ... pour sombrer littéralement à la séparation du groupe en 1970.

L'escadron britannique (Stones, Who, Kinks et consors) qui avait conquis et enchanté le monde décida brusquement d'allonger cheveux et chansons pour servir un rock lourdingue et inintéressant ; tandis que, de l'autre côté de l'Atlantique, les quelques noyaux de résistance (Stooges, Modern lovers) ne pouvaient suffire à sauver la situation.

C'est pourtant à ce moment que le rock ottoman ouvrit ses ailes, s'engouffrant dans la vague psychédélique que les Anglo-Saxons avaient abandonné depuis 3-4 années. Il fallait donc vivre en Turquie à cette époque si l'on était amateur de garage enragé, parsemé de fuzz et de giclées psychédéliques. Petit tour d'horizon de cette scène

Bunalimlar


Bunalimlar («les Crises») semblent avoir traumatisé tous ceux qui eurent l'occasion de les voir ou les entendre. Chevelus excités, ils couraient nus dans les rues de la bonne Turquie en criant «LSD ! LSD !» à tue-tête ; ce qui, vous l'avouerez, n'est pas très intelligent. Musicalement, ce groupe était d'une sauvagerie sans nom, comparable seulement aux Stooges ou au MC5. «Yeter Artik kadin» («Femme aux yeux d'Arctique») et «Tas var köpek yok» («Il n'y a pas d'écuelle pour le chien») devraient vous en convaincre.

Bunalimlar - Yeter Artik kadin


Cem Karaca & Apaşlar


Cem Karaca et son groupe («les Apaches») sont à peine plus modérés que Bunalimlar. Chanteur assez populaire, Cem dut s'exiler en Allemagne à la fin des années 1970 car le gouvernement le tenait pour un dangereux marxiste ; sans doute à cause de sa barbe. Aux dernières nouvelles, il serait mort depuis quatre ans.



Beybonlar

Le psyché instrumental de Beybonlar sonne plus oriental que les morceaux de Bunalimlar ou Cem Karaca ; voilà exactement le genre de sonorités auxquelles on est en droit d'attendre du «rock turc». Ce qui est assez étonnant en revanche, c'est que les membres du groupe avaient entre 11 et 18 ans (11 pour le batteur) ; les Hanson turcs en quelque sorte.



Gönül Yazar


Une curiosité pour finir avec une reprise du «Mon amour, mon ami» (de notre Marie Laforêt nationale) chantée par la dénommée Gönül Yazar. Outre le fait d'avoir été une sorte de Sylvie Vartan locale, cette (fausse) blonde a, semble-t-il, mené une longue et remarquée carrière d'actrice. Ça s'appelle «Çapkin kiz» («Tombeur de filles» si je m'en réfère à mes non-connaissances de la langue ottomane) et c'est plutôt chouette.

Gönül Yazar - Çapkin kiz

PS : Je n'ai pas mis de liens d'achat cette fois car je ne saurais vous dire où trouver ces disques. Vous pouvez toujours remuer ciel et mer pour dénicher la compilation Turkish delights, beat, psych and garage. De plus amples informations figurent sur le site Both kinds of music dont sont extraits plusieurs des liens musicaux figurant ci-dessus.

PS (2) : je plains mes confrères blogueurs turcs qui doivent placer des cédilles et des trémas sur la moitié de leurs lettres. Bravo les gars !