lundi 28 janvier 2008

Jilted John


1978 : la chanson «Jilted John» (du groupe éponyme) atteignait la 4e place des ventes de disques britanniques. À l'instar du «Ça plane pour moi» de Plastic Bertrand, un morceau conçu comme une parodie de la vague Punk était parvenu à devenir, par ironie du sort, un classique du mouvement.
Jilted John («John le largué»), c'était le nom du personnage incarné par le chanteur du groupe (Graham Fellows) : un garçon pas très fute-fute qui, avec son accent de teigne anglaise, nous contait ses malheurs ; une véritable tragicomédie en fait, comme vous allez pouvoir en juger :

Julie, la copine de John, lui annonce un soir et sans ménagement qu'elle le quitte pour Gordon. «Gordon ?!? Ce gros débile ?!?» s'écrie John inteloqué. Ce à quoi Julie répond, entre deux sanglots : «Ce n'est pas un gros débile...Lui au moins c'est un vrai mec».
Franchement retourné, John pleure tout le chemin jusqu'à la friterie. Et, lorsqu'il en sort, qui croise-t-il ? Je vous le donne en mille : c'est Gordon avec Julie ! Et tous deux se moquent de lui.
Voilà trop d'injustice pour le pauvre John : «Comment a-t-elle pu me quitter pour ce mec ? Juste parce qu'il est plus beau que moi ! Juste parce qu'il est cool et branché ! Mais moi je le sais : Gordon est un abruti ! Gordon est un abruti ! Gordon est un abruti ! Et elle c'est une grognasse, et lui un sale type, et elle une traînée, et lui un minable, et elle une chienne ! Et lui se prend pour un dur, mais c'est un gros débile ! Et c'est pas juste ! C'est pas juste
Sa colère éclate de plus belle : «Je suis vénère ! je suis vénère ! Je devrais lui éclater la tronche ! ... ah mais c'est vrai qu'il est plus grand que moi ... Oh, mais je sais ! Je vais demander à Barry de le faire : il va l'exploser ! ... ah oui, mais c'est vrai que Barry est pote avec Gordon... Oh ouais et puis je m'en fiche : parce que c'est qu'une grognasse, et lui un pauvre type, et elle une traînée, et lui ... »

(lien vers le site des Mod Pop Punk Archives / acheter True love stories sur Amazon)

Je vous recommande aussi de visionner le passage de Jilted John dans l'émission Top of the Pops. La prestation est hilarante et totalement loufoque ; particulièrement la chorégraphie du bonhomme sur la droite.



lundi 21 janvier 2008

ESG

Message important : il faut absolument écouter ESG, cinq soeurs du Bronx à qui, un jour, la brave maman avait acheté des instruments. Comme ça, pensait-elle, elles auront à s'occuper plutôt qu'à faire des bêtises. Ce fut le meilleur choix du monde : les soeurs Scroggins furent loin de faire des bêtises. Au contraire, même.

Ce qui étonne toujours avec ESG, c'est la simplicité : juste une basse et une batterie, le tout parsemé d'onomatopées vocales. Et pourtant, en y regardant de près, ce rythme répétitif est d'une inventivité incroyable, avec des enchaînements de percussions complètement fous. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien s'ils sont constamment samplés et re-samplés par des remixeurs ou rappeurs de tous poils.

En tout cas, avec cette ligne claire et épurée, ESG parvient à créer une musique des plus entraînantes, excitantes. Un grouve inégalé.


ESG - My love for you
ESG - Come away
(acheter Come away with ESG à la Fnac)

lundi 14 janvier 2008

Ike Cosse

Je suis sûr que la moitié des gens qui me lisent ne possèdent pas un seul disque de Blues. Non, non : ne niez pas, je vois tout et je sais tout.
Pour être plus exact, cette moitié considère le Blues comme une musique respectable et sympathique ; quelque chose qui ne dérange pas, en somme. Mais de là à en écouter spontanément et à acheter des albums, il ne faut pas exagérer. Car au fond, pensent-ils, c'est un peu toujours la même chose cette histoire : un vieux noir qui marmonne son spleen dans une guitare étouffée, trois accords répétitifs, le tout avec une qualité acoustique digne de Radio Londres.
Pour d'autres, le Blues c'est aussi des cinquantenaires blancs et barbichus, la voix rébarbative (style Éric Clapton), le genre qui se la joue prof de guitare virtuose avec des cascades de solos froids et techniques.
À tous ceux qui pensent ça : s'il vous plaît, écoutez Ike Cosse. Et si vous ne devez acheter qu'un album de Blues, foncez sur son Cold blooded world, merveille entre les merveilles. Sorti en 2000, le disque est une sorte de concentré de mélodies fantastiques, à la limite du folk. Chaque chanson est superbe et, croyez-moi, il fut très difficile d'en sélectionner deux. La guitare est sobre, laissant le premier rôle à la voix grave mais douce d'Ike, quand, soudain, juste au moment opportun, l'harmonica surgit pour donner de l'emphase à la mélodie. Rien de plus classique en fait. Mais écoutez donc.

Ike Cosse - Cold hearted world
Ike Cosse - The truth
(acheter Cold blooded world chez Amazon)

lundi 7 janvier 2008

Nicolas Ungemuth

J'aime beaucoup le Figaro Magazine. Une fois les 30 premières pages sautées (les pénibles articles "Actualité"), tout est grandiose. Là, le compte-rendu d'une vente aux enchères (un secrétaire Louis XV au placage d'amarante recouvert de maroquin vert) ; ici, une prose enflammée nous vante des destinations touristiques lointaines : Saigon, Cuba, les côtes d'Istrie ; ici encore, les arômes des meilleurs pomerols et saint-émilions sont disséqués avec une science et un goût certains. Les pages culturelles sont un ravissement, surtout lorsque l'archiduc de Syldavie y présente, en exclusivité, les plus belles pièces de sa collection de maîtres vénitiens.

Et puis, dans chaque numéro, il y a un reportage édifiant. Un journaliste fou, parti séjourner on ne sait trop pourquoi dans les steppes de Mongolie, les passes afghanes ou les cols caucasiens nous livre une peinture magnifique mais réaliste des peuples ou des guerres oubliés. Qu'ils abordent la piraterie sur les côtes somalies, la construction des oléoducs kazakhs ou le portrait de Ramzan Kadyrov (le président tchétchène qui ressemble à un méchant de série B : il aime jouer à la boxe, essayer des Kalachnikov et faire le fou avec son tigre apprivoisé), les sujets sont toujours passionnants.

Dans les Figaro Magazine, tout est plus grand, plus beau, plus cher qu'ailleurs. Ne serait-ce que les photos, prises par les seigneurs de la pellicule, souvent publiées en pleine page (29 x 22 cm, s'il vous plaît) avec les encres les plus chatoyantes de la presse magazine.
Car le Figaro ne s'adresse pas à n'importe qui ; et surtout pas aux professeurs crasseux ou autres intellectuels partageux. Non, le Figaro Magazine est la gazette de l'élite, celle qui s'intéresse au rendement des obligations convertibles et des contrats en euros diversifiés ; celle qui orne ses salons des oeuvres de Paul Ranson et Albert Chazalviel ; celle qui met ses enfants dans le privé et au solfège ; celle enfin qui roule en berline allemande et fait de la voile à la Trinité. Voilà ce qui fait son charme.

Tout cela pour dire que, dans le Figaro Magazine, il y a aussi et surtout la petite chronique musicale de Nicolas Ungemuth, le plus méchant et le plus grand des journalistes rock. Première chose à dire, la prononciation de son nom a donné naissance à plusieurs écoles : l'anglaise ("eûngémeusse"), la française ("ongeumute") ; mais je demeure adepte de la version allemande ("ounnguémoute"), plus en adéquation avec le caractère du personnage.

Même si je ne partage pas toujours son point de vue, force est de reconnaître que cet homme a bon fond : amour pour la pop 60s, le Freakbeat, la Soul profonde ou le Blues du Delta. Bref, s'il est un chroniqueur en France à qui se fier : c'est lui. Et si le Figaro ne lui offre qu'une maigre colonne pour distribuer les bons et les mauvais points, la vraie mesure de son art se déploie dans Rock'n'Folk où il assure, entre autres, la chronique des rééditions.

Ungemuth, c'est un style à part. Ardent défenseur de l'adage "qui n'aime pas, châtie bien", le bonhomme n'a pas son pareil pour incendier, humilier les artistes et ceux qui les écoutent : "débiles congénitaux", "crétins", "abrutis", ... il n'existe pas de demi-mesure ; le tout servi avec un humour mordant, voire tordant. Bref, un intégrisme rafraîchissant contre les atteintes au bon goût et aux bonnes moeurs.

Le plus haut fait d'arme d'Ungemuth reste un dossier paru il y a quelques années dans Rock'n'Folk : "Les 40 pires groupes de rock de tous les temps". Là où un journaliste normalement constitué se serait contenté de réciter des groupes universellement haïs (genre Lorie dans sa période rock), Nicolas fut bien plus subtil : sa liste fut essentiellement composée de groupes aimés, admirés, ceux qu'écoutent votre voisin, vos amis et une grande partie des gens qui prétendent aimer le rock'n'roll.

Entre autres, nous avions donc Pink Floyd, Deep Purple, U2, Van Halen, Pearl Jam, Police, Dire Straits, Garbage (vous trouverez la liste complète sur ce forum). Autant de groupes que les esthètes haïssent en silence, presque honteux de ne pas participer au culte consensuel. Chaque nominé eut droit à une descente en règle, à chaque fois hilarante (Freddy Mercury étant, de mémoire, surnommé "la Castafiore moustachue").

Au numéro suivant, ce fut une nuée de courriers indignés dans la boîte aux lettres du magazine : "De quel droit ce môôssieur Ungemuth se permet de critiquer un groupe unanimement respecté par la presse et par mon entourage ?!?" Sauf que voilà : avec Ungemuth, quand un groupe a été mauvais il y plus de 20 ans, il n'y a pas prescription pour autant. Ce fameux article laissa également des séquelles les forums du Net ; partout, des fatwas furent publiées, réclamant la mise à mort du blasphémateur. Quoi qu'il en soit, d'autres ont beaucoup rigolé (et votre serviteur en fait partie).

Si la plume et le style Ungemuth nous sont familiers, qui sait à quoi peut ressembler le personnage? Pour ma part, je suis intimement persuadé qu'il possède les traits des bonshommes ci-dessous : ceux d'un dandy cruel, carnassier et raffiné.


Pour finir, j'aimerais évoquer un autre méfait du baron von Ungemuth. Dans chaque numéro de Rock'n'Folk, un journaliste décerne, à tour de rôle, le titre d'"Album du mois". La plupart, frileux, se contentent de sélectionner LE gros disque qui vient de sortir (Radiohead, Babyshambles, Arctic Monkeys) en se disant, bêtement, que si l'album se vend bien mais qu'ils ne l'ont pas encensé, ils passeront pour des buses. Ungemuth, lui, s'en fiche. Quand son tour arrive, il choisit les Embrooks, un groupe inconnu qui n'a jamais intéressé personne ; un groupe composé de gens trop laids pour faire la couverture des magazines (lire l'excellent article ici, au numéro 447). Mais vache de chez vache : qu'est-ce qu'ils tuent ces Embrooks.


Embrooks - Back in my mind
(site / acheter Yellow glass perspections chez Soundflat)